Espagne, Andalousie, XVIème siècle. La Reconquista est terminée. Charles Quint règne sur une Espagne réunifiée et catholique. Sinan est un enfant qui vit avec sa sœur jumelle, Rufaida à Grenade. Musulmans convertis par nécessité au catholicisme, sa famille les envoie à Montpellier pour échapper à une Inquisition toujours plus féroce. Là-bas, ils tomberont dans une France embrasée par les guerres de religion…
L’avant-dernier livre de Jean-Laurent Del Socorro, paru il y a un an aux Éditions ActuSF nous replonge dans cette Europe du XVIème siècle visitée en 2015 dans Royaume de Vent et de Colère. Pour le lecteur qui ne connaîtrait pas cet univers, le roman peut se lire de façon totalement autonome, les liens avec le volume précédent étant subtilement distillés pour n’entraver en rien la lecture. Pour le lecteur de Royaume de Vent et de Colères, on retrouvera avec plaisir certains personnages et certains lieux déjà visités précédemment. Dans les deux cas, on pourra ensuite replonger dans le même univers avec une novella parue il y a deux ans, La guerre des trois rois, il se pourrait même que l’auteur n’en ai pas encore fini avec ce siècle charnière…
Comme dans les autres œuvres de Del Socorro, on traverse la grande histoire à travers les yeux de personnages de fiction. Récit hautement documenté qui permet de saisir le contexte historique et politique de cette Europe en pleine transformation (début de la renaissance, guerres de religions), mais qui permet aussi de goûter la langue et la poésie de l’époque à travers des extraits d’œuvres et de nombreuses anecdotes historiques sur les cités traversées (Grenade, Montpellier, Marseille…).
Au niveau des personnages, on retrouve des thèmes chers à l’auteur, on ressent toute la difficulté de porter le masque que la société nous impose (au niveau religieux, familial, social) et à quel point il est dur de se trouver soit même et de le rester. On suit toute la vie de deux jumeaux, un frère et une sœur, dont le lien, si fort dès la naissance, aura bien du mal à résister aux coups du destin. La psychologie est extrêmement développée. Au fur et à mesure des choix, on réfléchit à ce qu’on aurait pu prendre comme décision à la place des personnages, enrageant souvent en se rendant compte d’une certaine fatalité.
Je n’ai pu m’empêcher, en plus des références aux autres textes de Del Socorro, de faire quelques parallèles avec Les lions d’Al-Rassan de Guy Gavriel Kay qui s’est lui aussi inspiré d’Al-Andalus et qui transpose ce basculement de culture dans un monde différent du nôtre.
Avec ses quelques 350 pages, le roman défile rapidement, comme la jeunesse de nos protagonistes. Il plaira aux lecteurs de fantaisy historique, qui découvriront peut-être pour la première fois cette Espagne du XVIème et sa mémoire qu’on s’est évertué à effacer, mais aussi à tous ceux qui aiment les constructions psychologiques très développées.
Jean-Laurent Del Socorro sera présent au Festival Etrange-Grande les 17 et 18 septembre 2022.